Ce n'est pas une main innocente qui a désigné le Bayern Munich comme adversaire de Marseille en quarts de finale de la Ligue des champions, le 16 mars, au siège de l'Union des associations européennes de football (UEFA). Le look a certes changé avec cette élégante cravate violette, les cheveux ont raccourci et défrisé, la barbe a blanchi. Mais les anciens ont reconnu dans ce regard bleu narquois une vieille connaissance : Paul Breitner, le joueur le plus sulfureux de l'histoire du Bayern. Pour renforcer la thèse du traquenard, la scène s'est déroulée devant un écran annonçant l'apothéose de la plus prestigieuse des compétitions européennes : "Munich Final 2012".
A 60 ans, Paul Breitner est ambassadeur de l'UEFA pour cet événement, ou plutôt ces événements puisque sa mission recouvre aussi la finale féminine, le 17 mai au Stade olympique, ancien sanctuaire du Bayern qui abrita la finale de la Coupe du monde 1974. Avec deux clubs en lice en quarts de finale, le FFC Francfort et Turbine Potsdam, les Allemandes dominent. "Le foot féminin est très populaire chez nous, se réjouit Paul Breitner. Nos footballeuses sont très performantes, ce qui n'est pas étonnant puisque près de 40 % des licenciés sont de sexe féminin."
L'Allemand se dit "heureux" de son poste d'ambassadeur, alors qu'il n'avait "pas la moindre idée du fonctionnement de l'UEFA". Et il ne ménage pas ses efforts pour promouvoir la capitale de la Bavière, "la plus belle ville du monde", assure-t-il. S'agissant de la finale masculine, il s'affranchit quelque peu de son devoir de réserve et ne fait pas mystère de son rêve de voir le Bayern triompher le 19 mai à l'Allianz Arena. Avant cela, il faudra valider à domicile le 3 avril la victoire acquise à Marseille 2-0 le 28 mars.
Le Bayern dispose d'un atout majeur en la personne de Franck Ribéry, qui quitta l'OM pour la Bavière en 2007. Paul Breitner ne tarit pas d'éloges sur "Kaizer Franck", revenu à son meilleur niveau : "Il est aussi indispensable à l'équipe actuelle que Karl-Heinz Rummenigge pouvait l'être en son temps." Le compliment n'est pas mince car l'entente du blond attaquant avec Breitner, soit "Breitnigge", fut la clé de voûte du succès bavarois au début des années 1980. "Quand Franck est en très grande forme, comme lors de la saison 2007-2008 (il fut élu joueur de l'année en Bundesliga), on peut raisonnablement le comparer à Lionel Messi."
Pourquoi alors le Chti réserve-t-il son génie aux spectateurs de l'Allianz Arena ? Le dispositif de Laurent Blanc, sélectionneur des Bleus, ne lui conviendrait-il pas ? "Ce n'est pas une question de système de jeu mais de bien-être, esquive Breitner. En sélection, Franck ne se sent pas en confiance, vis-à-vis de la fédération, des supporteurs et de lui-même. Satisfaction personnelle et bonheur de jouer restent les fondamentaux."
"Nous sommes favoris face à Marseille, mais nous aurons besoin de jouer à notre meilleur niveau", conclut le diplomate. On retrouve là cette assurance raisonnée, aussi implacable qu'insupportable, propre aux joueurs de sa génération. Une realpolitik toute bismarckienne, faite de pragmatisme et d'efficacité. C'est l'image qu'a véhiculée pendant deux décennies le football allemand, ou plutôt ouest-allemand, avant la réunification de 1990. Et Breitner y a joué un rôle central comme arrière gauche avant de se repositionner comme milieu de terrain polyvalent. Adepte d'un football total wagnérien, il est capable de tacler proprement dans sa surface de réparation après une course de 30 mètres comme de marquer de la même distance. A 22 ans, il a déjà tout remporté : trois championnats, la Coupe d'Allemagne en 1971, l'Euro en 1972, et surtout la Coupe d'Europe des clubs champions et le Mondial en 1974. Il y inscrit trois buts dont le penalty égalisateur lors de la finale munichoise face aux Pays-Bas.
Les légendes du Bayern ont occupé des postes à haute responsabilité dans l'organigramme du club. L'actuel président, Uli Hoeness, a succédé à Franz Beckenbauer - qui entraîna l'OM pendant quatre mois sous l'ère Bernard Tapie -, alors que Karl-Heinz Rummenigge préside le conseil d'administration. Paul Breitner, lui, n'a jamais dépassé le statut de conseiller pour le recrutement.
A cela, deux explications possibles : son incompatibilité notoire avec le conservateur Beckenbauer et ses sympathies politiques de jeunesse. Dans son pays, il fut longtemps surnommé "Der Afro" pour sa chevelure qui l'apparentait vaguement à Angela Davis. Et Breitner partageait avec la militante noire américaine l'idéal marxiste-léniniste. Tendance Mao chez lui. Une photo le montre en compagnie de son boxer sous un portrait du Grand Timonier, lisant religieusement le Peking Rundschau. "Quand je suis venu au Bayern pour signer mon premier contrat professionnel, raconte-t-il, ma priorité était de gagner de l'argent pour financer mes études en pédagogie, pas de m'en mettre plein les poches." Le fond de l'air est rouge dans la ville de la République des conseils de 1919 : "Ils étaient des milliers à marcher dans les rues et j'ai rejoint le mouvement. J'étais jeune, intéressé par la politique comme mes camarades de l'université et chaud bouillant. Je lisais Le Petit Livre rouge. Ceux qui m'ont critiqué ne savent rien du socialisme."
Il fume alors des cigares aussi longs que ceux du Che et court les boîtes de nuit jusqu'à l'aube. "Ces deux années sont bien loin désormais, soupire-t-il. Aujourd'hui, je suis vieux et grisonnant. On dit souvent que les temps ont changé, mais je crois plutôt que ce sont les gens qui ont changé. Pour ma part, je ne regrette rien."
En France, "l'afro" est plutôt rebaptisé "l'affreux". Il n'était pas de la finale victorieuse sur Saint-Etienne, à Glasgow, en 1976. Le maoïste avait rejoint depuis deux saisons le Real Madrid, sans attendre la mort de Franco. "Je n'ai rencontré qu'une équipe française, cela ne m'étonne pas que vous ne vous en souveniez pas !, s'amuse-t-il. Réfléchissez, c'était en 1982..." Rappelé en sélection nationale par Jupp Derwall, Paul Breitner ne pouvait manquer la funeste "nuit de Séville", qui avait privé les Bleus Platini et Battiston de finale de Coupe du monde.
Depuis, l'Allianz Arena a été le berceau, à l'occasion du match d'ouverture de la Coupe du monde 2006, remporté 4-2 sur le Costa Rica, de la renaissance internationale du foot allemand sous un visage offensif et séduisant. "Notre sélection est à la fois très jeune et très forte, s'enthousiasme Paul Breitner. Pour l'Euro, elle est la deuxième meilleure équipe, après l'Espagne. Si elles ne se rencontrent pas avant, elles devraient logiquement aller en finale. Des outsiders ? Cette question ne m'intéresse pas. Cela n'a aucun sens de déterminer qui sera troisième ou sixième car ce seront des perdants. Et je ne m'intéresse qu'aux vainqueurs." Paul Breitner, lui, n'a pas changé.
Bruno Lesprit
Dates
1951
Naissance le 5 septembre à Kobelmoor (Bavière).
1970
Recruté par le Bayern Munich, il est triple champion d'Allemagne entre 1971 et 1974.
1974
Brandit la Coupe d'Europe des clubs champions puis la Coupe du monde à Munich.
1978
Retour au Bayern après un détour par le Real Madrid. Il remporte encore deux fois le championnat avant de prendre sa retraite en 1983.
A 60 ans, Paul Breitner est ambassadeur de l'UEFA pour cet événement, ou plutôt ces événements puisque sa mission recouvre aussi la finale féminine, le 17 mai au Stade olympique, ancien sanctuaire du Bayern qui abrita la finale de la Coupe du monde 1974. Avec deux clubs en lice en quarts de finale, le FFC Francfort et Turbine Potsdam, les Allemandes dominent. "Le foot féminin est très populaire chez nous, se réjouit Paul Breitner. Nos footballeuses sont très performantes, ce qui n'est pas étonnant puisque près de 40 % des licenciés sont de sexe féminin."
L'Allemand se dit "heureux" de son poste d'ambassadeur, alors qu'il n'avait "pas la moindre idée du fonctionnement de l'UEFA". Et il ne ménage pas ses efforts pour promouvoir la capitale de la Bavière, "la plus belle ville du monde", assure-t-il. S'agissant de la finale masculine, il s'affranchit quelque peu de son devoir de réserve et ne fait pas mystère de son rêve de voir le Bayern triompher le 19 mai à l'Allianz Arena. Avant cela, il faudra valider à domicile le 3 avril la victoire acquise à Marseille 2-0 le 28 mars.
Le Bayern dispose d'un atout majeur en la personne de Franck Ribéry, qui quitta l'OM pour la Bavière en 2007. Paul Breitner ne tarit pas d'éloges sur "Kaizer Franck", revenu à son meilleur niveau : "Il est aussi indispensable à l'équipe actuelle que Karl-Heinz Rummenigge pouvait l'être en son temps." Le compliment n'est pas mince car l'entente du blond attaquant avec Breitner, soit "Breitnigge", fut la clé de voûte du succès bavarois au début des années 1980. "Quand Franck est en très grande forme, comme lors de la saison 2007-2008 (il fut élu joueur de l'année en Bundesliga), on peut raisonnablement le comparer à Lionel Messi."
Pourquoi alors le Chti réserve-t-il son génie aux spectateurs de l'Allianz Arena ? Le dispositif de Laurent Blanc, sélectionneur des Bleus, ne lui conviendrait-il pas ? "Ce n'est pas une question de système de jeu mais de bien-être, esquive Breitner. En sélection, Franck ne se sent pas en confiance, vis-à-vis de la fédération, des supporteurs et de lui-même. Satisfaction personnelle et bonheur de jouer restent les fondamentaux."
"Nous sommes favoris face à Marseille, mais nous aurons besoin de jouer à notre meilleur niveau", conclut le diplomate. On retrouve là cette assurance raisonnée, aussi implacable qu'insupportable, propre aux joueurs de sa génération. Une realpolitik toute bismarckienne, faite de pragmatisme et d'efficacité. C'est l'image qu'a véhiculée pendant deux décennies le football allemand, ou plutôt ouest-allemand, avant la réunification de 1990. Et Breitner y a joué un rôle central comme arrière gauche avant de se repositionner comme milieu de terrain polyvalent. Adepte d'un football total wagnérien, il est capable de tacler proprement dans sa surface de réparation après une course de 30 mètres comme de marquer de la même distance. A 22 ans, il a déjà tout remporté : trois championnats, la Coupe d'Allemagne en 1971, l'Euro en 1972, et surtout la Coupe d'Europe des clubs champions et le Mondial en 1974. Il y inscrit trois buts dont le penalty égalisateur lors de la finale munichoise face aux Pays-Bas.
Les légendes du Bayern ont occupé des postes à haute responsabilité dans l'organigramme du club. L'actuel président, Uli Hoeness, a succédé à Franz Beckenbauer - qui entraîna l'OM pendant quatre mois sous l'ère Bernard Tapie -, alors que Karl-Heinz Rummenigge préside le conseil d'administration. Paul Breitner, lui, n'a jamais dépassé le statut de conseiller pour le recrutement.
A cela, deux explications possibles : son incompatibilité notoire avec le conservateur Beckenbauer et ses sympathies politiques de jeunesse. Dans son pays, il fut longtemps surnommé "Der Afro" pour sa chevelure qui l'apparentait vaguement à Angela Davis. Et Breitner partageait avec la militante noire américaine l'idéal marxiste-léniniste. Tendance Mao chez lui. Une photo le montre en compagnie de son boxer sous un portrait du Grand Timonier, lisant religieusement le Peking Rundschau. "Quand je suis venu au Bayern pour signer mon premier contrat professionnel, raconte-t-il, ma priorité était de gagner de l'argent pour financer mes études en pédagogie, pas de m'en mettre plein les poches." Le fond de l'air est rouge dans la ville de la République des conseils de 1919 : "Ils étaient des milliers à marcher dans les rues et j'ai rejoint le mouvement. J'étais jeune, intéressé par la politique comme mes camarades de l'université et chaud bouillant. Je lisais Le Petit Livre rouge. Ceux qui m'ont critiqué ne savent rien du socialisme."
Il fume alors des cigares aussi longs que ceux du Che et court les boîtes de nuit jusqu'à l'aube. "Ces deux années sont bien loin désormais, soupire-t-il. Aujourd'hui, je suis vieux et grisonnant. On dit souvent que les temps ont changé, mais je crois plutôt que ce sont les gens qui ont changé. Pour ma part, je ne regrette rien."
En France, "l'afro" est plutôt rebaptisé "l'affreux". Il n'était pas de la finale victorieuse sur Saint-Etienne, à Glasgow, en 1976. Le maoïste avait rejoint depuis deux saisons le Real Madrid, sans attendre la mort de Franco. "Je n'ai rencontré qu'une équipe française, cela ne m'étonne pas que vous ne vous en souveniez pas !, s'amuse-t-il. Réfléchissez, c'était en 1982..." Rappelé en sélection nationale par Jupp Derwall, Paul Breitner ne pouvait manquer la funeste "nuit de Séville", qui avait privé les Bleus Platini et Battiston de finale de Coupe du monde.
Depuis, l'Allianz Arena a été le berceau, à l'occasion du match d'ouverture de la Coupe du monde 2006, remporté 4-2 sur le Costa Rica, de la renaissance internationale du foot allemand sous un visage offensif et séduisant. "Notre sélection est à la fois très jeune et très forte, s'enthousiasme Paul Breitner. Pour l'Euro, elle est la deuxième meilleure équipe, après l'Espagne. Si elles ne se rencontrent pas avant, elles devraient logiquement aller en finale. Des outsiders ? Cette question ne m'intéresse pas. Cela n'a aucun sens de déterminer qui sera troisième ou sixième car ce seront des perdants. Et je ne m'intéresse qu'aux vainqueurs." Paul Breitner, lui, n'a pas changé.
Bruno Lesprit
Dates
1951
Naissance le 5 septembre à Kobelmoor (Bavière).
1970
Recruté par le Bayern Munich, il est triple champion d'Allemagne entre 1971 et 1974.
1974
Brandit la Coupe d'Europe des clubs champions puis la Coupe du monde à Munich.
1978
Retour au Bayern après un détour par le Real Madrid. Il remporte encore deux fois le championnat avant de prendre sa retraite en 1983.
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