Pro-Barça ou pro-Real, la presse espagnole fait aussi le clasico


Un "clasico" Real Madrid-FC Barcelone, c'est deux équipes, deux régions, mais aussi deux presses qui s'opposent. D'un côté, les pro-Real Madrid - les quotidiens As, Marca - de l'autre les pro-Barcelone - comme Sport et Mundo Deportivo. Et cette rivalité n'a rien de confraternelle, les unes rivalisant d'exclamations et d'éditoriaux enflammés contre le camp honni. Les éditions barcelonaises de vendredi s'inquiètent du jeu dur pratiqué par Mourinho, les madrilènes démontrent que Ronaldo est plus efficace que Messi. En ligne, le site du Mundo Deportivo demande à ce que Madrid paye après la contre-performance des Catalans à Chelsea, pendant que Marca espère que le Real mettra le grappin sur Messi.

Et quand l'un ou l'autre gagne un "clasico", c'est un acte de guerre déclaré à l'adversaire, ou à l'arbitre. Pour exemple, les deux unes ci-dessous, la première accusant l'arbitre d'avoir faussé le match, la seconde se riant du score (5-0) comme dans une cour de récré. "L'Espagne vit pour le foot et en particulier pour ces deux clubs, selon Juan Pedo Quiñonero, journaliste au quotidien généraliste ABC. Cette presse a toutes les raisons de surfer sur ces passions, les déchaîner, et continuer ainsi à bien gagner sa vie. Mais même sans parler d'argent, on ressent l'influence de la culture latino-américaine et sa déraison footballistique, celle-là même qui fait crier 'gooooooool' aux journalistes radio comme en Argentine."
  
Une déraison qui se confirme dans le scandale du "Villarato", du nom d'Angel Maria Villar, le président de la fédération espagnole. D'après As, il favoriserait le Barça ces dernières années par le truchement d'arbitres plus enclins à donner des cartons rouges et des penaltys pour les "Blaugranas". Pour Guillaume Bontoux, journaliste pour la radio nationale espagnole RTVE, ces journaux sont faits "pour et par les supporteurs". Ainsi leur donne-t-on ce qu'ils veulent, soit une opinion et du football, qui représente une majorité écrasante des sujets évoqués. Seuls Fernando Alonso, Rafael Nadal et Alberto Contador ont parfois les faveurs de leurs pages. La semaine dernière, sur sept unes de Marca, Ronaldo est présent six fois. "Ils fonctionnent comme une presse locale, en traitant aussi de l'actualité des autres clubs de la ville, poursuit Bontoux, et ils ne sont pas ou peu distribués dans la région adverse."

Aux autres clubs point de salut ? Mundo Deportivo possède une édition à Madrid focalisée sur... l'Atletico Madrid et une édition basque pour les deux clubs locaux, As paraît à Séville et s'intéresse au FC Séville, et Marca fait vendredi sa une sur la performance de l'Atletico Madrid, vainqueur la veille en Ligue Europa. Culture locale, toujours. En Espagne, pas de L'Equipe ou de Gazzetta dello Sport se posant comme élément fédérateur.

Mais l'aspect parfois racoleur de ces titres n'empêche pas l'expertise selon Ramon Llopis-Goig, sociologue du sport à Valence, qui tempère : "Ce n'est pas juste de les circonscrire à une culture tabloïd, malgré leur subjectivité et leur violence verbale. Il y a une façade sensationnaliste qui cache une connaissance technique et tactique. Et le ton véhément a tendance à prendre plus de place ces dernières années." Et puis parce qu'il existe une presse généraliste, à la manière de la presse anglaise, qui donne de l'espace au sport et s'emploie à la neutralité. Pour Juan Pedro Quiñonero, c'est une simple distribution des cartes : "La qualité du traitement sportif chez les généralistes laisse aux spécialistes la futilité et l'extravagance."

"ILS SONT PROPRIÉTAIRES DE L'IMAGE DU CLUB"
Dans les deux cas, madrilène et barcelonais, la vie des clubs et la passion fédérée dépassent la frontière sportive. Il est logique que cette opposition soit attisée par le régionalisme espagnol avec ici ses deux plus importants représentants. Impossible de créer un journal dans une de ces deux villes et de s'extraire du contexte politique, a fortiori quand ce dernier vous sert. "Leurs positionnements très clairs ont permis à ces journaux d'être devenus les propriétaires de l'image du club", remarque Ramon Llopis-Goig.

Cette passion fait partie du folklore du duel footballistique le plus réputé au monde. Loin d'être un détail, cette presse est lue chaque matin par des centaines de milliers de lecteurs. Le tirage de Marca avoisine par exemple les 360 000 exemplaires par jour, le deuxième meilleur score du pays derrière El País. Ceux des quotidiens barcelonais se chiffrent autour de 150 000. "Et plus la crise touche les journaux espagnols généralistes, mieux se porte la presse sportive", selon Juan Pedro Quiñonero. Si bien qu'elle influence les clubs qu'elle couvre.

"Si José Mourinho ne parle plus à la presse ces derniers jours, raconte Guillaume Bontoux, c'est clairement lié aux critiques faites par As, et si Manuel Pellegrini a été évincé il y a quelques années, Marca, qui avait titré "Casse-toi vite", n'y est pas pour rien." Loin de pouvoir concurrencer ces mastodontes, Ramon Llopis-Goig remarque tout de même l'émergence d'une troisième voie : "Un type de presse sportive est récemment apparu, sérieux et compétent, avec des revues comme Quality Sport et surtout Panenka." Une autre presse sportive "es posible".

réf: lemonde.fr

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